Perspectives
interdisciplinaires sur le
travail et la santé
17-1 (2015)
Éclat
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Aude Villemain et Patrice Godon
Construction de la fiabilité
organisationnelle en environnement
extrême à partir de la sécurité réglée
et gérée: étude de cas du raid
Concordia
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Référence électronique
Aude Villemain et Patrice Godon, «Construction de la fiabilité organisationnelle en environnement extrême à
partir de la sécurité réglée et gérée: étude de cas du raid Concordia», Perspectives interdisciplinaires sur le
travail et la santé [En ligne], 17-1|2015, mis en ligne le 01 mai 2015, consulté le 23 août 2015. URL: http://
pistes.revues.org/4455
Éditeur : Elise Ledoux
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Construction de la fiabilité organisationnelle en environnement extrême à partir de la sé (...)
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Perspectives interdisciplinaires sur le travail et la santé, 17-1 | 2015
Aude Villemain et Patrice Godon
Construction de la fiabilité
organisationnelle en environnement
extrême à partir de la sécurité réglée et
gérée: étude de cas du raid Concordia
1. Objectifs et contexte de la recherche
1
Cette étude a été menée dans le cadre d’un programme en collaboration avec l’Institut polaire
français Paul Emile Victor (IPEV). Il s’agit d’un travail exploratoire (mené en 2012-2013)
qui s’inscrit dans un projet de recherche à plus long terme reposant sur la compréhension
globale de la fiabilité organisationnelle et de la sécurité instaurée dans un système particulier
soumis à des conditions extrêmes (le raid). Plus exactement, l’objectif est d’examiner, par
une analyse ergonomique des situations, la manière dont le concept du raid a envisagé les
problèmes de sécurité. Le raid polaire (que nous détaillerons ci-après) s’est inscrit en 1993
dans le projet de construction de la station scientifique franco-italienne Concordia (située à
l’intérieur du continent Antarctique, à 1150 km de Dumont D’Urville (DDU) et ouverte en
2005). Le but était de concevoir un mode de transport des équipements de construction le
moins onéreux possible, le plus fiable et résistant aux conditions extrêmes, pour relier la base
DDU à celle de Concordia. Il s’agissait ainsi pour l’époque d’un réel défi technique, matériel
et technologique. C’est dans ce contexte, et à partir d’une démarche à la fois intuitive (issue
de la culture interne des expéditions polaires françaises de PEV) et économique (la solution
de transport en raid était estimée plus fiable et moins coûteuse que le transport par avion-
cargo) que le raid a été conçu, permettant ainsi, au début du projet, le transport des matériels
nécessaires à la construction de la nouvelle station. C’est aussi pour ces raisons que le raid
polaire a été jusqu’à maintenant plus traité par le concepteur du point de vue de l’efficacité,
préoccupé par le fonctionnement technique, que du point de vue de la sécurité. Les risques
ont été anticipés par sa veille empirique et expérientielle. Ceci nous laisse à penser qu’il reste
des perspectives d’évolution du système. Tout le travail repose ainsi sur une formalisation des
types de situations à risque existantes ainsi que des dispositifs de sécurité mis en place au sein
du raid.
2
Les situations extrêmes sont généralement définies comme des situations de rupture avec le
cours de la vie ordinaire, «évolutives, incertaines et risquées» (Lièvre, 2005; 2007). Pour
contextualiser davantage l’étude, nous avons complété ce passage en faisant référence aux
travaux de Rivolier: le facteur humain en situation extrême a rapidement été étudié à la fois
dans le champ polaire et celui du spatial (Rivolier, 1998) pour comprendre aussi bien le stress
et les capacités d’adaptation que les réactions physiologiques humaines.
3
L’étude des organisations est à la racine des problèmes de sûreté. La fiabilité d’une
organisation va dépendre d’une série d’équilibres stratégiques, des interactions entre les
opérateurs, des stratégies utilisées par les opérateurs pour réaliser les tâches (Bourrier, 1999).
Dès lors, étudier les organisations connectées avec les actions des opérateurs permet de
considérer les stratégies d’organisation qui passent obligatoirement par l’activité des acteurs
qui la composent, ainsi que la technologie. Par ailleurs, dans une organisation, l’application
stricte des procédures est impossible et nécessite l’intervention humaine pour ajuster et réduire
les écarts à la prescription, et c’est bien cette démarche de contournement de problème qui
contribue à la construction de la fiabilité organisationnelle (Leplat et de Terssac, 1990). Dès
lors, le travail hors règle ou hors procédure incite les opérateurs à développer des capacités
d’inventivité qui ne s’exprimeraient pas autrement (Bourrier, 1999, p. 236). La fiabilité
organisationnelle passe avant tout par l’acquisition d’une flexibilité, notamment dans des cas
de situations critiques, dont l’improvisation par le bricolage est reconnue comme étant une
source de résilience (Weick, 1993). La résilience organisationnelle, dans ce cas, consiste certes
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Perspectives interdisciplinaires sur le travail et la santé, 17-1 | 2015
en la capacité de l’organisation à résister aux chocs, mais aussi en celle de les éviter (Roux-
Dufort, 2003).
4
Une étude sur la construction de la sécurité en conditions extrêmes justifie l’intervention
d’une approche ergonomique, même si au départ ces situations de travail sont contraires
à la conception ergonomique (Wolff et Spérandio, 2004). L’intérêt pour les conditions
d’adaptation du travail en situations extrêmes conduit au concept d’ergonomie constructive
(Falzon, 2013): le travail sous contrainte pourrait être vu comme l’opportunité de développer
de nouveaux savoir-faire, garantissant simultanément la sécurité du système et celle des
opérateurs. Aujourd’hui, à notre connaissance, peu d’études en ergonomie se sont intéressées
au travail en environnement polaire, encore moins sur un convoi d’expédition polaire
(Villemain, 2014; Villemain et Godon, 2014).
5
En Antarctique, l’hostilité de l’environnement complique le déroulement des activités
humaines, en particulier lorsque les travaux s’effectuent à l’extérieur. À ces températures (de
-20°Cà -60°C en été), le moindre incident non géré (ou mal géré) peut prendre une ampleur
conséquente et devenir rapidement dramatique en raison de l’assistance médicale restreinte et
de l’isolement. Toutes ces conditions font qualifier l’environnement polaire d’environnement
hostile dans lequel le pronostic vital peut être rapidement engagé.
6
Le raid polaire de transport mis en place par l’IPEV se définit comme un ensemble de véhicules
en convoi se déplaçant en autonomie totale sur la calotte polaire Antarctique, transportant trois
fois au cours de l’été austral le carburant (lequel permet de produire l’énergie électrique et
le chauffage), le matériel, les pièces de rechange et la nourriture du site.Le convoi type est
composé d’environ 10 personnes (un minimum de 6 à 7 mécaniciens engins, un médecin),
d’attelages de tracteurs et de traîneaux (conteneurs à matériel, cuves à carburant). Son objectif
principal est d’acheminer en quantité et en qualité les produits vers le site, le plus rapidement
possible et pour une consommation de carburant la plus basse possible.
7
Si la question des risques se pose généralement à propos d’une base de vie en Antarctique,
elle est d’autant plus légitime concernant un convoi isolé, au confort spartiate, en déplacement
continu. Pendant environ vingt jours aller-retour, les raideurs (néologisme pour les personnels
du raid) traversent le désert de glace en vivant dans des unités de logement aménagées (ou
caravanes). À ce jour, 21 ans après le premier raid, il n’y a jamais eu de pertes de vies
humaines, ni même d’accident grave. Le système peut donc être considéré comme résilient et
sécuritaire. Pourtant, il n’existe pas de procédures spécifiques à l’activité du raid, ni de retours
d’expérience construits à partir des raids précédents (depuis 1993).
1.1. Les conditions de travail sur le raid
1.1.1. Le raid français dans le paysage international
8
Même s’il existe des raids aussi en Arctique (raids scientifiques danois et raids logistiques
américains au Groenland), nous nous sommes centrés sur les activités déployées sur le
continent Antarctique. Il existe trois types de raids en Antarctique, ayant des finalités
différentes: (1) les raids touristiques (effectués en Arctique, par exemple, ou au Canada),
à buts lucratifs, de randonnées, de loisir ou de défi personnel ; (2) les raids scientifiques
(menés par les Australiens, Allemands, Japonais et Français) qui ont pour but de transporter
des scientifiques (glaciologues) pour des prélèvements de carottes de glace à l’intérieur du
continent Antarctique; (3) les raids logistiques (effectués par les Russes, les Chinois, les
Américains et les Français) qui répondent à des exigences de productivité et de performance.
Ce type de raid est un outil et un moyen de transport intégré dans une chaîne globale
de transport de fret. Les finalités, et donc les enjeux, économiques, politiques ne sont pas
comparables aux deux autres, puisqu’en dépend la survie des hivernants sur base. Comme
il s’agit d’un service de transport de fret dans des conditions particulières (objectif de
performance), le raid est soumis à des contraintes temporelles très rigides dépendantes à la
fois des rotations de l’Astrolabe (navire) qui achemine le fret et des conditions de glace et
de température. Plus le raid partira tard dans la saison, plus les difficultés relatives au froid
sont à prévoir. C’est pour toutes ces raisons que nous avons souhaité étudier la fiabilité
organisationnelle et la sécurité de ce type de raid. Notons que l’IPEV a actuellement réalisé
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Perspectives interdisciplinaires sur le travail et la santé, 17-1 | 2015
56 convois de transport entre Dumont d’Urville et le site du Dôme C (soit 58 raids avec les
raids exploratoires du début du projet). Tous les raids ont abouti.
1.1.2. Les caractéristiques de la route du raid
9
Grâce à un ensemble de navigation installé dans l’engin en tête, le convoi suit une route
tracée d’après une topographie des zones à risques relevée par satellite. Les crevasses ont été
repérées et l’itinéraire le plus favorable à la traction des charges, avec un dénivelé régulier et
relativement faible, a été retenu (figure 1, zone 1). La ligne représente le tracé de la route du
raid tenant compte de zones de crevasses existantes.
Figure 1. Caractéristiques de la route du raid
10
Le parcours est découpé en quatre zones, en lien avec la nature de la surface du continent (très
dure au départ puis de plus en plus légère); le dénivelé (positif et très important au départ du
raid, à la côte) s’adoucit tout au long du parcours; les charges transportées se réduisent entre le
départ et l’arrivée du raid à Concordia. En effet, le convoi est délesté à l’aller, au fur et à mesure
de la consommation du carburant et, selon une simulation de calculs de consommation, des
cuves contenant le carburant pour le retour sont déposées le long de la piste. Ces particularités
vont déterminer le fonctionnement du raid, notamment en matière de traction des charges,
de conduite des engins et d’organisation du convoi. Par exemple, à partir de la zone 3, la
densité de la neige de surface devient très faible; les charges s’enlisent dès la moindre sortie
de route du convoi, ce qui n’est pas le cas en zone 1. Aucun objectif intermédiaire (comme
le nombre de kilomètres journaliers) ne peut être défini puisque le raid devra faire face à des
aléas pendant son déplacement. Le seul objectif est d’arriver à Concordia le plus vite possible
avec les moyens et les possibilités du moment, avec le maximum de fret et en état et en veillant
à la consommation de carburant.
1.1.3. Imprévus et autonomie totale
11
Au-delà du fait que le convoi soit en déplacement, les incertitudes se situent dans les variations
de la surface et l’imprévisibilité du climat. Si le raid se caractérise par le climat hostile, avec
des températures pouvant dépasser les -50°C à la fin de l’été austral, il doit aussi se déplacer
dans des conditions de mauvais temps. Certaines tempêtes soulèvent la neige (le blizzard) et
limitent la visibilité à moins d’un mètre. Ceci augmente mécaniquement les risques lors du
déplacement du convoi. S’ajoute ensuite la situation d’isolement. Les membres du raid sont
en autonomie totale, il n’y a pas d’assistance directe possible. De ce fait, les actions médicales
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restent aussi très limitées. Enfin, le confinement est une des caractéristiques fortes du raid. Les
raideurs vivent dans 2m
2
(surface de la cabine du véhicule) assis onze heures par jour. Puis
les moments collectifs se déroulent dans un espace de vie (unité aménagée appelée caravane
vie) de 24 m
2
partagé entre 10 personnes. Les conditions de vie sociale sont ainsi éprouvantes,
laissant échapper de temps à autre des sursauts d’humeur générés par la fatigue cumulée.
Tous ces risques mentionnés jouent un rôle dans le déroulement du raid, normalement ponctué
d’incidents et d’aléas: pannes d’engins, casses de crochets, pertes de charges, sorties de route.
La sécurité des raideurs est ainsi mise en jeu tout au long de la traversée.
1.1.4. Les personnels du raid
12
Le raid est composé au minimum de sept mécaniciens engins de travaux publics (dont un
qui sera chef de convoi) et d’un médecin. Les places restantes peuvent être réservées à des
extérieurs (scientifiques/personnalités). La plupart des raideurs s’engagent dans le raid à la
suite d’un premier séjour sur base. Ils posent ensuite leur candidature, examinée selon les
critères d’expérience mécanique, médicaux, motivationnels et de capacité de vie en groupe.
Il n’y a ni ultra sélectivité ni critère d’âge
1
. L’activité de raid est saisonnière de mi-octobre
à mi-mars. Le renouvellement des personnels de raid d’une année à l’autre est faible et les
personnels les plus anciens cumulent environ une quarantaine de raids. Il n’existe pas de
formation spécifique en amont au raid actuellement; elle s’effectue in situ. La formation
spécifique des débutants au raid est faite, sur le modèle du compagnonnage, en immersion
dans le groupe existant. La prise de décision peut être à la fois collective et individuelle selon
la situation. Quoi qu’il en soit, c’est le chef de convoi qui aura la dernière initiative.
1.2. Environnement à risque et sécurité
13
La notion de sécurité est majoritairement abordée du point de vue des risques. Classiquement,
le risque renvoie à l’exposition à un danger susceptible d’entraîner des dommages (Leplat,
2006). C’est la probabilité qu’un danger s’actualise. Il est caractérisé par la probabilité
d’occurrence de l’événement risqué et les impacts négatifs que celui-ci peut engendrer
(Hollnagel, 2008; Marc et Rogalski, 2009). Des niveaux d’acceptabilité du risque sont alors
définis dans chaque domaine, en fonction de choix effectués à partir de lieux et de moments
donnés (Daniellou et coll., 2009).
14
La sécurité a pour but de prévenir les risques, si possible de les supprimer ou du moins de
s’en protéger. Plusieurs études en ergonomie menées dans le champ médical, industriel ou
militaire ont insisté sur l’aspect dynamique des situations ainsi que sur les imprévus ou bien
l’incertitude en tant que facteurs de risque (Amalberti, 2001; Cuvelier, 2011; Daniellou et
coll., 2009; Morel et coll., 2008). Dans ces types d’environnement, l’objectif est de maintenir
l’évolution du processus dans des limites acceptables et maîtrisables de la situation. Au-delà
de ces limites, l’opérateur prend des risques (Van Daele et Carpinelli, 2001). De ce fait, il est
donc indispensable de faire émerger ce cadre de l’acceptabilité pour maintenir la sécurité du
système, notamment dans un environnement particulier. Les procédures et règlements servent
alors de filet de sauvetage pour protéger du risque (Cellier et coll., 1996). C’est ce que suggère
la sécurité réglée.
1.2.1. Sécurité réglée, sécurité gérée
15
Depuis quelques années, les recherches montrent deux types de sécurité: une sécurité statique
(réglée) et une sécurité dynamique (gérée) (Daniellou et coll., 2009; Morel et coll., 2008).
Après un repérage des risques, la sécurité réglée envisage des mesures de protection et de
prévention du risque, notamment dans des termes d’automatismes, de règles, d’équipements
de protection, de formation. Ce type de sécurité permet de «définir par avance des scénarios
anticipables» (Daniellou et coll., 2009, p.68). Deux types de stratégies permettent de régler
la sécurité : celles qui consistent à supprimer les risques, ou celles qui mettent en place
des barrières de défenses pour les prévenir ou pour en limiter les conséquences (Amalberti,
2004). Il existe quatre types de barrières combinables (Hollnagel, 2004 ; 2008) : (1) les
barrières matérielles qui préviennent physiquement de l’exécution d’actions dangereuses ou de
la propagation de leurs conséquences indésirables; (2) les barrières fonctionnelles qui gênent
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l’exécution d’actions non souhaitées en établissant une dépendance logique ou temporelle
entre deux ou plusieurs actions; (3) les barrières symboliques qui indiquent une limite à
respecter et nécessitent une interprétation de l’opérateur, qui doit réagir ou répondre aux
messages qu’elles contiennent ; (4) les barrières immatérielles, qui sont généralement au
centre des démarches de sécurité et qui nécessitent d’être connues des opérateurs pour être
activées. Ce sont des réglementations, des règles, des normes, des procédures spécifiques ou
des consignes (Amalberti, 2001 ; Garrigou et coll., 2004). Cette conception de la sécurité
est relativement statique et, contrairement à la sécurité gérée, elle n’envisage que très peu
la variabilité des situations de travail. La sécurité gérée ne repose pas sur des formalismes
« réglés », mais sur les stratégies, des comportements d’initiatives, des bricolages, une
improvisation et une ingéniosité déployés par les opérateurs en situation réelle. Elle se construit
ainsi par l’expertise des hommes et par la mise en œuvre en temps réel de compétences
individuelles et collectives. C’est une vision dynamique de la sécurité.
16
La littérature a montré que ces deux types de sécurité se rejoignent et s’articulent dans la réalité.
Les règles ne doivent pas être exhaustives, mais suffisamment flexibles pour qu’elles soient
exploitables et qu’elles permettent la sécurité. Elles doivent être compatibles avec la diversité
et la variabilité des situations des opérateurs, en respectant les modes opératoires diversifiés et
les manières de faire le métier. Il s’agit d’une réalisation d’une performance en sécurité et non
l’exécution «aveugle» de règles de sécurité, le plus souvent aux dépens de la performance.
1.2.2. Le développement de compétences et de savoir-faire de prudence
17
Les personnels de raid sont habitués à l’hostilité de l’environnement de travail ainsi qu’à ses
conditions extrêmes. Dès lors se pose la question du développement de nouveaux savoir-faire
au contact de cet environnement polaire. Les recherches (Amalberti, 1996) ont mis en évidence
que pour gérer les risques les opérateurs avaient besoin de confiance en eux, confiance
qu’ils construisent avec l’expérience. Ils développent ainsi une connaissance d’eux-mêmes
dans des situations à risque pour acquérir par la suite une expérience de gestion du risque.
La construction de marges de manœuvre renvoie à l’idée d’espace de liberté, autorisé par
l’organisation (Coutarel, 2004). Être capable de saisir les limites de ses propres compétences
contribue au développement de ces dernières. Si un savoir-faire de gestion du risque
s’acquiert à travers l’expérience de situations à risque comme les recherches précédentes
semblent l’indiquer, le raid devient alors une situation d’étude privilégiée: l’environnement
polaire, considéré comme à risque, peut être envisagé comme lieu de développement des
opérateurs dans leur apprentissage de la gestion du risque. Et c’est justement cette perspective
développementale que propose l’ergonomie constructive (Falzon, 2013), en mettant en avant
l’existence d’environnements dits capacitants, pour permettre le développement de nouvelles
compétences et de nouveaux savoirs (Falzon, 2005).
18
Un opérateur peut développer des compétences à travers la mise en place d’une organisation
du travail spécifique. A contrario, des prescriptions et des contraintes temporelles trop
fortes, (ou une absence totale de prescriptions générant de l’incertitude) sont des conditions
défavorables au développement (Delgoulet et Vidal-Gomel, 2013). Nous pouvons toutefois
nous demander dans quelle mesure l’incertitude à laquelle les opérateurs sont exposés n’incite
pas au développement de compétences spécifiques à la gestion de l’incertitude.
19
Ainsi, dans des contextes à risque, pour éviter les accidents et les efforts inutiles, les opérateurs
développent des savoir-faire de prudence pour assurer concrètement leur sécurité, en tenant
compte des contraintes techniques du travail, des spécificités de l’environnement et de la
connaissance qu’ils ont de leurs équipiers (Cru, 1996; Llory et coll., 1994). Ces savoir-faire
de prudence permettent aussi de faire face à l’imprévu en remaniant les configurations des
ressources dont dispose l’opérateur, qui, dans le cas de notre étude, peuvent être offertes par
l’environnement, tout comme l’approche des environnements capacitants le préconise.
20
L’objectif de cette recherche est d’examiner, par une analyse ergonomique des situations, la
manière dont le concept du raid a envisagé les problèmes de fiabilité organisationnelle, et
notamment ceux liés à la sécurité dans cet environnement hostile. Comment la sécurité se
construit-elle au sein du raid, alors qu’il n’existe à ce jour aucune procédure de sécurité écrite
pour guider les activités des opérateurs sur le raid? Nous proposons à travers cette étude
Construction de la fiabilité organisationnelle en environnement extrême à partir de la sé (...)
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Perspectives interdisciplinaires sur le travail et la santé, 17-1 | 2015
exploratoire de comprendre les enjeux sécuritaires impliqués dans ce travail particulier. Quels
sont les facteurs de risques? Sous quelle forme la sécurité dans un environnement hostile
apparaît-elle? Les facteurs de risque présents durant le déroulement du raid ont été établis
ainsi que les dispositifs mis en œuvre grâce à une compréhension globale de l’organisation du
raid et spécifique à travers les tâches effectuées sur le raid.
2. Étude de cas
21
Les données ont été recueillies en trois temps (tableau 1) : (1) dans un premier temps,
des observations participantes ont été menées à partir d’un travail en immersion (prises de
notes, films, photos). Embarquée sur la traversée aller-retour du convoi, soit 23 jours, le
but était d’abord de comprendre ce qu’était le raid, de déceler les risques potentiels dans
cet environnement hostile et de repérer les habitudes de fonctionnement et les manières de
procéder lors du déplacement ou non du convoi. Ainsi, nous avons relevé tout ce qui semblait
s’adapter à la particularité et à l’hostilité de l’environnement; (2) dans un deuxième temps,
des traces des tâches et des activités menées durant le déroulement du raid ont été relevées
(prises de notes journalières). Nous avons noté les différentes étapes qui ponctuaient les
journées de travail de manière chronologique, comme les tâches effectuées et les activités
menées. Nous n’avons retenu que les journées types sans incident et sans imprévu. Le but était
d’établir un lien entre les tâches et les activités avec la gestion de risque et d’accéder à une
compréhension spécifique de l’activité raid; (3) dans un troisième temps, au retour à la base
(DDU), six entretiens semi-directifs d’une durée moyenne de deux heures ont été menés avec
le concepteur du raid. Au cours du premier entretien, nous l’avons interrogé sur les risques
potentiels, à partir (a) des risques repérés durant le raid par les observations participantes et
(b) des situations redoutées, c’est-à-dire des situations dont la survenue doit être évitée (Valot,
1998). Cette démarche nous a permis de valider les situations à risque repérées et d’accéder
à une compréhension globale du raid. Au cours des cinq autres entretiens, le concepteur du
raid a verbalisé sur les dispositifs de sécurité mis en place durant la conception du raid à partir
des énoncés des tâches et des activités recueillis lors du raid que nous avons rattachés aux
situations à risque retenues.
Tableau 1. Méthodologie utilisée
Observations participantes
Traces des tâches et des activités
des raideurs
Entretiens avec le concepteur du
raid
Compréhension globale du raid
Repérage des risques en lien avec
l’hostilité de l’environnement
Repérage des habitudes de
fonctionnement
Chronologie des tâches et des
activités menées chaque jour
Organisation du travail sur le raid en
lien avec la gestion de risques
Repérage et validation des situations
à risque
Compréhension des dispositifs de
sécurité mis en place, à travers la
conception et l’organisation du raid
3. Résultats
22
Les résultats présentés montrent dans un premier temps une catégorisation des situations à
risque sur le raid ainsi que les dispositifs de sécurité proposés lors de la conception. Dans
un deuxième temps, l’organisation des tâches et des activités des raideurs sur une journée
type est exposée, permettant l’anticipation des risques. Dans un troisième temps, les savoir-
faire spécifiques au travail en conditions extrêmes développés par les raideurs sont établis,
dissociant les savoir-faire de métier de prudence.
3.1. Une sécurité garantie par la conception particulière du raid
23
À partir des observations et des entretiens menés avec le concepteur du raid, 11 situations à
risque ont été recensées et ont été classées selon 2 catégories: 7 situations à risque de classe 1
sont inhérentes aux systèmes de survie; 4 situations à risque de classe 2 ne sont pas directement
en lien avec les systèmes de survie.
24
Deux types de risque apparaissent, tous aboutissant à un engagement du pronostic vital. Les
risques inhérents aux systèmes de survie, anticipés par le concepteur et préparés par le chef de
convoi ont été catégorisés comme étant des risques de classe 1; ceux qui ne sont pas en lien
direct avec les systèmes de survie et pour lesquels aucune action de préparation ne peut être
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envisagée ont été catégorisés risques de classe 2. Pour chaque situation à risque, les dispositifs
déployés par le concepteur du raid sont indiqués (tableau 2).
3.1.1. Les risques de classe 1
25
Des risques en lien avec les systèmes et unités de survie (carburant, communication,
navigation, nourriture), anticipables, ont été relevés: (1) épuisement du carburant. Au-delà
de la nécessité du carburant pour le déplacement du convoi, il permet d’alimenter le groupe
électrogène qui produit l’énergie électrique et le chauffage. Déposant des cuves contenant le
carburant du retour à l’aller, le chef de convoi doit s’assurer de ses calculs afin que le convoi ne
manque pas de carburant au retour (tableau de conversion distances consommation volume).
Pour pallier une erreur possible, ou un évènement inattendu, des «cuves tampons» ont été
placées sur le parcours pour faire face à cette situation; (2) la perte des systèmes de production
(énergie, chauffage, eau potable): à ces températures, il serait très difficile de rentrer sans
chauffage. Pour anticiper ce risque, plusieurs solutions sont déployées : la présence d’un
générateur portatif et des générateurs installés sur les prises de force des tracteurs; (3) l’arrêt
des systèmes de communication: dans une telle situation d’isolement, le raid doit assurer ses
moyens de communication. Pour cela, plusieurs dispositifs utilisant des moyens différents (HF,
constellations de satellites télécom différentes) seront employés. Par ailleurs, un compte rendu
quotidien est rédigé par le chef de convoi pour la localisation du raid par les autorités; (4)
l’arrêt des systèmes de navigation: en cas de mauvais temps, il devient difficile de se repérer
dans le désert de glace. Les engins sont équipés de GPS, mais d’autres moyens sont présents
à bord du raid en cas de besoin, par ailleurs le suivi de constellations différentes assure aussi
la sécurité; (5) incendie des caravanes vie, énergie, vivres: chaque caravane est séparée des
autres, elles sont installées sur des châssis différents et ne communiquent pas physiquement
entre elles; en conséquence les raideurs sont obligés de passer à l’extérieur pour se rendre
d’une caravane à une autre; (6) perte de nourriture (rupture de la chaîne du froid, défaut de
conservation): la bonne forme des opérateurs nécessite une alimentation convenable. Ainsi,
en parallèle avec la nourriture congelée, le raid dispose d’un magasin chauffé (+4°C). Cette
unité, reliée au générateur électrique, est chauffée à l’occasion de chaque arrêt (l’isolation est
suffisante pour garantir le maintien de la température positive pendant une dizaine d’heures).
Des dépôts de nourriture supplémentaires sont répartis à d’autres emplacements du convoi.
À côté de la nourriture conservée à température positive, il y a les plats préparés à l’avance
et congelés; (7) figeage du carburant: le carburant utilisé est du carburant diesel et risque
de figer aux températures auxquelles le raid peut être soumis. Si le carburant fige, il devient
impossible d’alimenter le groupe électrogène (électricité, chauffage) et de continuer à déplacer
le convoi. Pour anticiper ce risque, plusieurs solutions ont été appliquées : le carburant
est distillé spécifiquement (déparaffiné), du kérosène est transporté sur le convoi (il fige à
des températures plus basses mais est moins lubrifiant, il est utilisé en mélange au gasoil),
des résistances électriques pour liquides sont emportées, enfin, une cuve est équipée d’une
couverture chauffante extérieure sous un manteau isolant.
3.1.2. Les risques de classe 2
26
Ces risques, qui ne sont pas en lien direct avec les systèmes et les unités de survie (santé des
raideurs, réparation des engins, tempêtes, crevasses), sont difficilement anticipables: (1) des
zones de crevasses existent sur la route du raid (figure 1). Un engin peut y tomber, voire des
charges. Pour anticiper ce risque, un sondage à l’aide d’un géoradar des parties de route à
risques est effectué à chaque début de saison (avant le géoradar, ce sondage était effectué à pied
avec des tiges métalliques). La route du raid est ainsi revue régulièrement en tenant compte de
ces zones particulières; (2) les pannes d’engins et casses de matériels nécessitent de réparer,
ce qui reste une prise de risque dans ces conditions de froid. Quelles que soient la météo et les
températures, les mécaniciens tentent de réparer les pannes quand elles surviennent. En cas de
pannes non réparables sur le convoi, les matériels sont laissés sur le bord de piste pour être
chargés/repris au retour. Éventuellement, si l’engin abandonné implique une perte de traction
non compensable par une répartition de ses charges, il faudra les laisser également. Afin de
gérer cette situation au mieux, un atelier et un magasin de pièces de rechange sont à bord
Construction de la fiabilité organisationnelle en environnement extrême à partir de la sé (...)
9
Perspectives interdisciplinaires sur le travail et la santé, 17-1 | 2015
du convoi. Pour limiter les risques de casse, des machines de nivelage permettent d’aplanir
la route, limitant/compensant ainsi les déformations du terrain. Enfin, exploitant l’expérience
issue de chaque raid, des modifications continues sont apportées d’une saison à l’autre sur
les matériels; (3) problèmes de visibilité en cas de mauvais temps: en cas de mauvais temps
(neige soulevée par le vent), la visibilité est parfois réduite à seulement quelques centimètres).
Des attelages ou des personnes peuvent s’égarer. Comme il est impossible de se repérer pour
s’orienter par mauvais temps, ces situations sont réglées par l’installation de systèmes de
navigation maritimes (logiciels de navigation) dans plusieurs engins, dont la machine de tête.
En outre, quelques tracteurs sont équipés de projecteurs puissants (utilisation de projecteurs de
stade en guise de phares), d’autres de radars. Éventuellement une organisation spécifique est
proposée: par exemple, le matin, en cas de mauvais temps, si le départ est possible malgré une
visibilité réduite, les engins ne seront pas préparés et chauffés comme à l’accoutumée; dans
cette situation, le chef de convoi, à l’aide de ses projecteurs, guidera/accompagnera chacun
avec son propre engin à ses charges pour s’atteler. En cas d’engins sous une congère après une
tempête, et par visibilité réduite, seulement deux personnes iront déneiger; (4) les problèmes
de santé, accidents, maladies: les moyens médicaux sont réduits et ne permettent pas de
soigner en urgence des maladies, des infections ou des problèmes physiologiques. L’altitude
peut aussi créer des complications, tout comme le soleil avec la réverbération et l’atmosphère
claire. Cumulées à la fatigue, des situations bénignes peuvent rapidement devenir périlleuses.
De ce fait, un médecin est embarqué obligatoirement à bord du raid, ainsi qu’un conducteur
supplémentaire.
27
Pour résumer, les résultats montrent que le raid a été conçu sous les contraintes de
l’environnement polaire pour anticiper les situations à risque. Concernant notamment les
risques de classe 1, les résultats soulignent le doublement des dispositifs pour assurer une
sécurité au sein du raid. Chaque type de situation à risque a été pensé à travers la conception
du raid. Ces dispositifs de sécurité renvoient à une sécurité réglée par le système, envisageant
une redondance des systèmes de survie pour en assurer la sécurité globale. Les dispositifs de
sécurité mis en œuvre sur le raid définissent une marge de manœuvre d’action pour les raideurs.
Tableau 2. Situations à risque et dispositifs développés sur le raid pour la sécurité
Situations à risque
Dispositifs de sécurité mis en œuvre
(classés dans l’ordre de leur apparition/installation)
Risques de classe 1
1. Épuisement du carburant: erreurs dans les calculs de
carburant à emporter au départ du raid
- tableau de conversion pour calculer le carburant à
déposer
- dépôt «tampon» de carburant de secours à mi-chemin
2. Perte des systèmes de production d’énergie
- générateur portatif
- puis équipement de 2 tracteurs avec des générateurs
- puis équipement de 4 engins avec générateurs et phares
- emplacement dans le 1
er
attelage du convoi
3. Arrêt des systèmes de communication
- émetteur récepteur radio HF
- utilisation de terminaux Inmarsat M et C et Iridium (–
multiplication des constellations – donne également + de
confort)
- comptes rendus journaliers avec coordonnées envoyés
chaque soir pour la localisation du raid par les autorités
4. Arrêt des systèmes de navigation
- compas solaire et théodolite
- récepteurs GPS (constellations Navstar US)
- récepteurs bi-constellation (Glonass russe et Navstar
US)
- puis trois engins équipés de GPS multi constellations
5. Incendie des caravanes vie, énergie, vivre - espaces séparés sur traîneaux différents
6. Perte de nourriture (rupture de la chaîne du froid,
défaut de conservation)
- nourriture de base congelée
- dépôts de nourriture supplémentaires
- magasin +4°C
7. Figeage du carburant (dû aux températures basses)
- carburant diesel traité (déparaffinage)
- emport de kérosène à mélanger (plus résistant au froid)
- emport de résistances de chauffage pour liquides
Construction de la fiabilité organisationnelle en environnement extrême à partir de la sé (...)
10
Perspectives interdisciplinaires sur le travail et la santé, 17-1 | 2015
- cuve 12m
3
équipée d’une couverture chauffante
extérieure et d’un manteau isolant (24kw – 6m
2
),
pouvant être branchée sur une génératrice de tracteur
pendant la journée
Risques de classe 2
1. Zones de crevasses
- sondage avec des tiges métalliques
- route élaborée en fonction des crevasses
- sondage à l’aide d’un géoradar géologique/
glaciologique au début de chaque saison
2. Pannes d’engins, casses de matériel
- atelier de réparation et pièces de rechange à bord du
convoi
- machines de nivelage permettant d’aplanir la route
- modifications continues apportées sur les engins et le
matériel pour les adapter aux contraintes de traction et
de froid et pour diminuer la résistance à la traction
3. Problèmes de visibilité en cas de mauvais temps:
engins, charges, personnes égarées
- systèmes de navigation dans l’engin de tête
- 4 tracteurs équipés de projecteurs
- 2 tracteurs équipés de radars
- organisation spécifique de l’arrêt du convoi
4. Problèmes de santé(liés à la réverbération, l’altitude,
la fatigue, aux blessures, aux infections)
- intégration d’un médecin dans la composition du raid
- présence d’un conducteur supplémentaire
3.2. Une organisation particulière du travail visant la sécurité
3.2.1. Un enchaînement des tâches sur la journée
28
La nature des tâches menées sur le raid permet d’assurer une prévention des pannes (figure
2). Quatre tâches principales composent une journée type de raid: (1) la préparation des
engins et du convoi au matin consistant à mettre les machines de traction à température
avant le départ (chenilles, moteurs, éléments mécaniques...) puis à se placer dans le convoi
pour le recomposer. Cette étape est prévue pour minimiser les risques de casses et de
pannes au démarrage ; (2) la conduite-veille des engins, le conducteur de tracteur veille
au bon fonctionnement de sa machine (température d’échappement, tours moteur et autres
indicateurs), il coordonne sa vitesse avec les autres engins de l’attelage, est attentif au
comportement des charges et à toutes traces anormales au sol; (3) l’organisation du convoi
à l’arrêt ou constitution du parking du soir: une fois la caravane stationnée sur une route
nivelée, les engins sont dételés des charges et vont se positionner perpendiculairement (et
très rapprochés) à l’ensemble caravanes vie/énergie de façon à créer un couloir de circulation
entre l’avant de l’engin et le côté de la caravane. Cette disposition permet (a) de protéger
les raideurs lorsqu’ils sortent pour passer d’une caravane à une autre en cas de mauvais
temps et de ne pas s’égarer; (b) d’éviter la formation de congèrestrop proches des caravanes
en les rejetant derrière l’engin; (c) de protéger l’avant des engins du vent et de la neige;
(d) de faciliter le départ le lendemain matin sans avoir à déneiger complètement des engins
ensevelis; (4) les travaux du soir : cette phase, composée de la maintenance des engins,
de la vérification des charges, et des pleins de carburant, permet d’anticiper les risques. Les
tâches de maintenance reposent sur la diversité des compétences mécaniques, notamment
en fonction des types d’engin : deux mécaniciens spécialistes des machines de nivelage,
trois mécaniciens spécialistes des tracteurs à chenilles Caterpillar, deux autres personnes sont
chargées de vérifier toutes les charges et les traîneaux, deux autres sont chargées de faire les
pleins de carburant de tous les engins. Enfin, le médecin qui est aussi «intendant et cuisinier»,
dans un souci d’optimisation du temps global, prépare les repas, notamment le soir pendant
les activités de maintenance.
29
Cette distribution des tâches contribue à la sécurité globale sur le raid. Les repas sont des
périodes d’échanges collectifs, servant parfois de débriefing ou de discussion autour de
diagnostics de pannes. Le repos est indispensable pour gérer les efforts sur la durée du raid.
Toutes ces tâches s’enchaînent sans repos pour gagner en temps et ainsi minimiser la durée
d’exposition aux basses températures.
Construction de la fiabilité organisationnelle en environnement extrême à partir de la sé (...)
11
Perspectives interdisciplinaires sur le travail et la santé, 17-1 | 2015
Figure 2. Anticipation des risques par l’enchaînement des tâches sur une journée type de raid
3.2.2. Une répartition et une synchronisation des tâches de maintenance
30
Si on ne s’attache qu’aux activités de maintenance, nous constatons que tout le monde y
participe, chacun dans son domaine. Aucune activité de maintenance n’est menée seule, mais
toujours au minimum par binôme pour les activités extérieures. Seul le médecin chargé de
la préparation du repas sera en intérieur et seul dans l’exécution de sa tâche. Pour toutes les
tâches, les opérateurs commencent le travail ensemble et le terminent ensemble (figure 3).
31
Le chef de convoi effectue la vérification des charges avec un autre raideur avant de s’atteler
au contrôle de l’ensemble des travaux et à la rédaction du compte rendu quotidien.
32
La tâche des pleins en carburant des engins est longue et s’effectue en plusieurs étapes: tout
d’abord il faut que la surface où stationnera la cuve de service à côté de la caravane énergie (et
du groupe de filtration/pompage) soit plane et de niveau pour éviter les erreurs de jaugeage.
Ensuite, il faut connecter la manche d’aspiration en haut de la cuve et ouvrir les vannes du
circuit. Il faut démarrer la pompe, dérouler les flexibles de remplissage jusqu’aux réservoirs,
puis ouvrir d’autres vannes et, enfin, faire les pleins en passant d’un engin à l’autre. Il faut
entre une heure et une heure trente pour effectuer cette opération à deux techniciens. Une fois
terminée, il faut refermer les vannes, enrouler les flexibles, débrancher et enrouler la manche
d’aspiration et jauger la cuve. La hauteur de carburant restante sera transmise au chef de convoi
pour ses calculs. Cette tâche étant longue, les mécaniciens qui ont terminé les opérations de
maintenance des engins aident les deux personnes chargées des pleins. Une entraide informelle
s’instaure pour gagner du temps, réduire le temps d’exposition aux températures extérieures
et aussi pour aller prendre le dîner. Ainsi, les travaux du soir se termineront de manière
synchronique, de sorte (1) à ce que personne ne reste seul au froid et (2) à limiter la durée
de travail à l’extérieur. On peut donc en conclure que la sécurité est assurée par le groupe
complet des raideurs. La figure 3 montre l’activité des 10 raideurs (R1 à R10), leur spécialité
(M= mécanicien (R8); Mchar= mécanicien en vérification des charges (R1 et R2); Mcat=
mécanicien caterpillar(R3 à R5); MNiv= mécanicien Niveleuse (R6 et R7); Sc= scientifique,
soit le premier auteur de l’article (R9); Méd= médecin (R10). R1 est le chef de convoi, celui
qui prend les décisions et qui a la responsabilité des neuf autres personnes.
Figure 3. Anticipation des risques par la synchronisation à deux des tâches de maintenance
Construction de la fiabilité organisationnelle en environnement extrême à partir de la sé (...)
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Perspectives interdisciplinaires sur le travail et la santé, 17-1 | 2015
3.3. Gestion de la sécurité par les savoir-faire des raideurs
33
Au-delà de cette organisation spécifique permettant de gérer le risque, des savoir-faire de
prudence sont utilisés par les raideurs pour gérer la sécurité (tableau 3). Ces résultats sont
avancés essentiellement par les observations participantes.
34
Les expériences vécues et cumulées au fil des raids ont amené à développer des savoir-faire
spécifiques. Même si la plupart de ces personnels sont des mécaniciens engins de formation,
le métier devra s’adapter aux conditions de travail en milieu polaire, et même si le but est de
limiter le temps d’exposition aux températures basses, tous ont développé un savoir-faire de
prudence pour se prémunir du froid ou s’en protéger pendant le travail, s’inscrivant davantage
dans une sécurité gérée.
3.3.1. Des savoir-faire de métier
35
La technologie employée sur le raid force les mécaniciens à utiliser des matériels, matériaux
ou des systèmes qui ne sont pas pris en charge par leur formation initiale en mécanique. Le
matériel utilisé est très spécifique (voir tableau 2) et nécessite un apprentissage des opérateurs
à leur utilisation. Pendant les interventions/réparations, la logique d’organisation du travail
est contrainte par l’hostilité de l’environnement, comme par exemple la constitution de petites
équipes de trois qui tournent pour réparer. Pendant qu’une équipe travaille, l’autre se réchauffe,
alternant ainsi jusqu’à ce que l’engin soit réparé. Les raideurs doivent savoir utiliser les
systèmes de navigation, de communication, les radars. Les mécaniciens doivent maîtriser
l’utilisation des systèmes de production d’énergie (maintenance des armoires électriques et du
groupe) ainsi que le matériel spécifique pour la réparation et la maintenance des engins.
3.3.2. Des savoir-faire de prudence
36
L’expérience emmagasinée au fil des raids leur a permis de développer des savoir-faire
de prudence pour travailler dans le froid, comme par exemple la manière de se vêtir (en
évitant toute humidité, tout en évitant beaucoup de couches de vêtement, puisque c’est la
première couche d’air qui protège du froid). Ils connaissent des astuces qui leur permettent
de se prémunir du froid. Ils apprennent à alterner le travail avec ou sans gants pour gagner
en précision et en temps. Le travail dans ces conditions de froid pousse les opérateurs à
agir de manière différente d’un travail similaire en France, en anticipant par exemple l’effet
des températures quant aux solutions envisagées dans les modifications. Les savoir-faire
développés par les raideurs visent principalement à organiser leur travail de sorte à effectuer les
tâches le plus rapidement possible. En ce qui concerne la sécurité, le but final est de réduire la
durée de travail en extérieur et de rester le moins longtemps possible en contact avec l’hostilité
de l’environnement pour se préserver.
37
Ces savoir-faire de métier et de prudence peuvent se développer grâce à l’inexistence de
procédure et de prescription formalisées offrant ainsi une liberté d’agir et d’autoréglage aux
raideurs.
Tableau 3. Développement de savoir-faire spécifiques sur le raid
Savoir-faire de métier Savoir-faire de prudence
Compétences mécaniques diversifiées et élargies
Adaptation des interventions aux contraintes de froid
Connaissances spécifiques des symptômes des engins en
traction dans des températures basses
Compétences de diagnostic mécanique en conditions
extrêmes
Connaissance des matériaux
Se protègent et protègent les autres lors des manœuvres
Rotation d’équipes pour rester le moins longtemps
possible à l’extérieur
Alternance du travail avec et sans gant
Savoir se préserver et gérer ses efforts
Se protéger du froid: savoir s’habiller, chasser
l’humidité
Savoir vivre en groupe
S’entraider pour réduire la durée de travail aux
températures froides
Savoir se synchroniser dans le travail avec les autres
4. Discussion
38
Cette étude exploratoire avait pour but de comprendre comment se construisait la sécurité
en environnement hostile, sur le raid polaire. Les résultats montrent que la sécurité se joue
Construction de la fiabilité organisationnelle en environnement extrême à partir de la sé (...)
13
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à trois niveaux: celui de la conception du raid (sécurité réglée), celui de l’organisation du
travail pendant le raid (sécurité réglée et gérée) et celui du savoir-faire spécifique des raideurs
(sécurité gérée). La sécurité est le critère dominant du point de vue de l’organisation. Le raid a
été conçu autour de la gestion des situations à risque, notamment en pensant une organisation
essentiellement centrée sur l’anticipation des risques (anticipables et non anticipables) en
relation avec l’hostilité de l’environnement. Il s’agit d’une recherche de compromis entre les
objectifs à atteindre (acheminer le maximum de fret, en bon état et le plus vite possible, tout en
consommant le moins de carburant possible) et la gestion de risque, ce dernier étant prioritaire
sur l’autre. Cette conception du raid conditionne l’organisation du travail dans la distribution
des tâches et des activités. On constate que les déterminants du raid énoncés auparavant ont
été dictés par l’environnement polaire et qu’il s’agit d’un ajustement aux contraintes et à la
typicité de l’environnement favorable à l’activité humaine.
4.1. Des ressources offertes par l’organisation et une autonomie des
raideurs
39
Ces premiers résultats mettent en évidence l’existence d’une sécurité réglée de manière
informelle par la conception du raid. Autrement dit, la construction du raid pensée autour des
situations à risque offre une marge de manœuvre dans laquelle les raideurs peuvent naviguer.
Ainsi le risque, notamment en ce qui concerne les systèmes de survie, est pris en charge par
l’organisation générale du raid, tant dans les choix de technologies et de matériaux que dans
l’organisation du convoi. Cette sécurité réglée laisse une autonomie suffisante aux raideurs
pour qu’ils développent de nouveaux savoir-faire à l’intérieur de la marge de manœuvre laissée
par le système. Ces résultats confirment la littérature : pour gérer la sécurité en contexte
dynamique, l’opérateur s’octroie des marges de manœuvre qui renvoient à un espace de liberté
autorisé par l’organisation et permettant de réduire l’incertitude. Les opérateurs adaptent alors
leurs actions en fonction de leur savoir-faire (Amalberti, 1996; Coutarel, 2004; Valot, 1998).
L’autonomie des raideurs dans les actions (grâce à l’inexistence de prescriptions formalisées)
permet l’adaptation de leur mode opératoire selon la variabilité des situations. À l’intérieur de
la marge de manœuvre définie par l’organisation, les raideurs sont libres de procéder comme
ils le souhaitent, de manière autonome. Cette autonomie devient alors un garant de la sécurité
développée sur le raid.
40
Il s’agit bien d’une articulation entre la sécurité réglée et gérée, servant à la fois l’organisation
et les raideurs. Les opérateurs investissent et naviguent dans cette marge de manœuvre dans
laquelle ils construisent leur sécurité. Elle devient une ressource pour déjouer les contraintes
(Chassaing, 2006). Au contact des situations à risque, et parce qu’il n’existe pas de prescription
(et donc de l’autonomie), les raideurs développent de nouveaux savoir-faire qui modifient
sans doute à terme leur perception du risque. La sécurité gérée par les opérateurs permet de
rendre de la flexibilité au système raid et ainsi de le sécuriser: les raideurs vont s’ajuster au
fur et à mesure des événements et gérer le risque au coup par coup. Il est ainsi nécessaire
que les opérateurs préservent cet espace pour gérer leur sécurité et celle du système. La
conception du raid propose une sécurité réglée de fait par l’utilisation, entre autres, du matériel
et de la technologie spécifiques. Le filet de sauvetage ne repose donc pas sur des procédures
et des prescriptions (Cellier et coll., 1996) sur l’intégration de matériels et technologies
présentant leur propres limites fonctionnelles. Cette évolution matérielle a permis par la suite
la redondance des systèmes de survie. Si la sécurité réglée semble reposer essentiellement sur
la multiplicité des ressources utilisables par les opérateurs, la sécurité gérée ne peut s’épanouir
que dans un contexte de liberté et de choix.
4.1.1. Des ressources proposées par l’organisation, plus que des barrières
41
Les travaux sur l’ultra sécurité ont mis en avant l’existence de barrières pour empêcher
certaines actions des opérateurs pouvant les mettre en danger (Amalberti, 2004). D’après
les résultats de cette étude, aucune action n’est empêchée par l’organisation elle-même, ne
serait-ce que par l’utilisation du matériel. Il ne s’agit donc pas de barrières. Lorsque les cuves
tampons sont mises en place, ce n’est pas pour empêcher le chef de convoi de commettre des
erreurs, mais bien pour lui apporter une solution supplémentaire. Ainsi, l’organisation n’a mis
Construction de la fiabilité organisationnelle en environnement extrême à partir de la sé (...)
14
Perspectives interdisciplinaires sur le travail et la santé, 17-1 | 2015
en place aucune action d’empêchement, mais une logique de sécurité à travers la facilitation
de l’accès à une multiplicité de ressources.
42
Dans l’environnement polaire, le risque est difficilement supprimable, puisqu’il provient
essentiellement de l’environnement polaire, de son incertitude et de l’isolation géographique
induite. Les barrières de défense que propose Hollnagel (2008) pour anticiper les risques ne
semblent pas apparaître sous cette forme sur le raid: les seules défenses existantes reposent
sur les systèmes, technologies et matériels utilisés (barrières de défense fonctionnelles ?),
mais qui offrent par ailleurs une ouverture du champ des possibles des raideurs. Il s’agit donc
bien plus de ressources supplémentaires proposées aux opérateurs, accroissant leur liberté
d’action, que de barrières. L’environnement contraint les raideurs, ou leur offre la possibilité de
procéder de manière adaptée, en tenant compte, à chaque action entreprise, des conséquences
par rapport à la spécificité de l’environnement polaire. L’organisation instaure une sécurité
réglée par la conception du raid et l’organisation du convoi, complétée par une sécurité gérée
par les raideurs qui développent des savoir-faire de prudence qui s’affinent au fil des raids.
Ces ressources offertes par l’organisation laissent une liberté d’action aux opérateurs, ne
serait-ce que dans le choix des systèmes utilisés. Ce type d’organisation leur permet alors de
développer de nouveaux savoir-faire spécifiques à la gestion des situations à risque. C’est en
étant confrontés à des contraintes (les pannes dans le cas du raid) et à la recherche de solutions
adaptées que les opérateurs créent et innovent (Bonnardel, 2006).
4.1.2. Engagement, autonomie et développement de savoir-faire
43
D’après nos résultats, les raideurs développent des savoir-faire spécifiques à cet
environnement de travail en conditions extrêmes grâce à la marge de manœuvre libérée par
l’organisation. Pour éviter les accidents et les efforts inutiles, les raideurs développent des
savoir-faire de prudence pour assurer concrètement leur sécurité, notamment en limitant le
temps d’exposition aux températures froides. Pour cela, ils apprennent à organiser leur travail
(enchaînement et synchronisation) en tenant compte des contraintes techniques du travail, des
spécificités de l’environnement et de la connaissance des autres raideurs (Cru, 1996; Llory et
coll., 1994). Ces résultats confirment les études précédentes (Villemain et Lémonie, 2014):
la liberté et l’autonomie, ainsi que l’engagement délibéré des opérateurs dans des situations
à risque sont des conditions (ou facteurs de conversion) pour qu’une contrainte devienne une
ressource pour l’action.
44
Ainsi, bien que parfois l’abondance ou le manque de prescriptions (générant de l’incertitude)
empêche le développement de compétences (Delgoulet et Vidal-Gomel, 2013), nous sommes
ici dans le cas où l’inexistence de prescriptions écrites dégage de l’autonomie et de la
liberté aux raideurs. Les marges de manœuvre à l’intérieur desquelles ils peuvent naviguer
sont prescrites de fait, en partie, par les modalités de conception du raid, et jouent un rôle
fondamental dans le développement de nouveaux savoir-faire. L’organisation du raid permet
cette liberté. D’ailleurs, il est possible que l’entraide repérée lors des travaux du soir et
la synchronisation des tâches émanent de cette libertédans la prise de responsabilité : les
opérateurs s’engagent délibérément dans ce processus parce qu’il n’est pas dicté par les
prescriptions. La sécurité gérée ne peut se construire que dans un environnement laissant
suffisamment de liberté aux opérateurs, puisqu’elle permet la flexibilité et l’adaptabilité à la
variabilité des situations et à l’incertitude.
45
Dans cette perspective, l’incertitude, caractéristique des environnements à risque (et polaires),
ne serait pas tant une contrainte qu’une opportunité de création, d’innovation, de liberté et de
développement des opérateurs (Bonnardel, 2006). Ainsi, l’aménagement des environnements
de travail devrait permettre le développement de l’autonomie de leurs opérateurs pour assurer
leur engagement d’une part dans la production et d’autre part dans la sécurité du système.
5. Conclusion
46
Cette partie se propose de mettre en avant les apports de cette recherche aussi bien sur le plan
épistémique que transformatif. Les apports de cette étude du point de vue des connaissances
en ergonomie (sur les environnements capacitants et le travail en conditions extrêmes), de
l’applicabilité de ces résultats et de leur transfert à d’autres environnements à risque (comme
Construction de la fiabilité organisationnelle en environnement extrême à partir de la sé (...)
15
Perspectives interdisciplinaires sur le travail et la santé, 17-1 | 2015
celui du spatial), et de la posture de l’ergonome soumis lui aussi à des conditions extrêmes
dans son travail sont exposés.
5. 1 Des environnements à risque, des environnements capacitants?
47
Les opérateurs en situation à risque, en environnement hostile, ou travaillant dans des
conditions extrêmes, sont dans des environnements leur laissant la possibilité de développer
de nouveaux savoirs et savoir-faire à condition qu’ils disposent de suffisamment d’autonomie
dans le travail (Villemain, 2014; Villemain et Lémonie, 2014).
48
Cette organisation construite autour de la spécificité polaire débouche peut-être sur un
allègement des procédures et des règles prescrites, la sécurité étant de fait assurée par
l’organisation elle-même et les contraintes matérielles. Ces premiers résultats obtenus sur
le raid laissent penser que les acteurs principaux développent de nouvelles compétences en
matière (1) de savoir-faire de métier, sur le plan technique et mécanique grâce à l’arrivée
régulière de nouveaux matériaux et de nouvelles technologies (comme l’arrivée du géoradar de
détection des crevasses par exemple et des engins dont les moteurs sont gérés par ordinateur),
ou bien encore en diagnostic (sur la typicité des pannes et des symptômes des engins en contact
avec les conditions polaires, sous les contraintes de traction par exemple), (2) de savoir-faire
de prudence, à partir de leur expérience de gestion des situations à risque construite au fil des
raids, comme savoir s’habiller sans humidité. C’est ce que l’ergonomie constructive propose
à travers le concept d’environnement capacitant (Falzon, 2013).
49
La question se pose de savoir s’il s’agit d’environnement, d’organisation ou de situation
capacitante. Le raid peut être considéré comme une organisation capacitante dans le sens
cette dernière met en place des règles d’organisation et de production d’un environnement
capacitant (Fernagu-Oudet, 2012). Le travail en conditions extrêmes et en environnement
polaire peut permettre le développement de savoir-faire des opérateurs, grâce à une autonomie
et un engagement volontaire des opérateurs dans leur activité (Villemain et Lémonie, 2014).
Les raideurs développent ainsi une connaissance d’eux-mêmes dans des situations polaires,
leur permettant d’acquérir une expérience de gestion du risque. La notion d’hostilité de
l’environnement polaire est toute relative, en référence à une norme et à un standard. L’hostilité
n’existe que dans l’interaction entre les compétences professionnelles de l’opérateur déjà
acquises et l’environnement de travail dans lequel il agit, ici polaire. Le raideur se construit
un pouvoir d’agir dans ce type d’environnement. Pour les habitués, l’environnement polaire
n’est plus hostile pour eux, juste un peu plus froid que leur environnement habituel en France.
50
Ce dernier point peut amener à discuter les risques en situation de travail en conditions
extrêmes, bien souvent banalisés par les accoutumés. Que signifie dès lors «environnement
à risque?» Le développement de nouveaux savoir-faire modifie le regard porté sur le risque
réel en situation extrême (par un sentiment de maîtrise du risque) et sans doute aussi les
modes opératoires qui en découlent. Nous observons dans la littérature un glissement de
la représentation du risque, qui se situe parfois dans les conditions de l’activité de travail
des opérateurs (comme pour le raid), et qui parfois concerne les risques qui émergent des
conséquences de l’activité de travail (comme les études menées sur l’industrie nucléaire ou le
médical). Dans un cas, le risque est présent avant même que l’opérateur entame son travail,
dans l’autre le risque est consécutif au travail effectué.
51
Par ailleurs, si l’environnement polaire (environnement extrême) peut être considéré comme
étant un environnement capacitant (le cas du raid) c’est bien plus lié à l’existence des
pannes dans cet environnement, qui donnerait la possibilité aux raideurs de développer
de nouveaux savoir-faire. Au-delà de la typicité de l’environnement polaire qui, pour les
opérateurs principaux, est largement banalisé, il semblerait que la contrainte ne se situe pas
principalement sur le plan de l’environnement. D’ailleurs, la routine menace bien plus les
raideurs que les dangers en tant que tels.
52
Raideurs depuis environ 10 à 15 ans, ils sont effectivement accoutumés à cet environnement
hostile. Nous sommes dans un cas le risque perçu est minimisé et ne renvoie pas à une
contrainte. Les situations contraignantes sur le raid (pannes vécues) leur permettent de faire
appel à leurs ressources et de développer de nouveaux savoir-faire. Ainsi, les contraintes sont
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donc bien plus à comprendre du point de vue de l’activité que de l’environnement en tant
que tel. Si l’environnement polaire peut être considéré comme étant capacitant c’est bien plus
par le fait que les opérateurs sont obligés d’ajuster leur activité à la typicité de la panne (en
interaction avec la typicité de cet environnement) qu’à l’environnement en tant que tel. À
ce niveau d’expérience, les raideurs ont le sentiment de maîtriser le risque, et donc en partie
l’environnement. Ce qui est capacitant pour eux, c’est de produire leur activité professionnelle
dans cet environnement. C’est donc la pratique en milieu hostile qui nécessite l’adaptation de
compétences professionnelles (déjà existantes en France) à la typicité de l’environnement.
5.2 Des prescriptions remplacées par des limites matérielles/
technologiqueset le droit à l’erreur?
53
Les résultats obtenus dans cette étude interrogent les environnements de travail facilitant
le développement de compétences des opérateurs. Dans ce cadre, il apparaît que le peu
de prescriptions, mêlé à des situations « d’inconfort » ou de situation problème (pannes)
poussent les opérateurs à innover, créer, inventer. Pour cela, les organisations du travail
devraient pouvoir élaborer des systèmes ouverts, utilisant la technologie/matériel comme
limite mais aussi comme ressource. Ce type d’organisation permettrait, d’une part, d’alléger
les prescriptions et, d’autre part, de rendre de la flexibilité au système, soit de l’autonomie
aux opérateurs. Comme l’étude le montre, il est tout à fait possible d’envisager un cadre
dont la périphérie serait définie par le matériel ou la technologie utilisée, régissant ainsi à
la fois la sécurité tout en préservant l’autonomie des opérateurs pour construire la fiabilité
organisationnelle.
54
Comme les prescriptions ne peuvent pas être exhaustives, il devient incontournable que les
organisations encouragent les opérateurs à développer des stratégies adaptatives improvisées.
Dans ce cadre, il faut que les raideurs aient une expérience d’improvisation réussie comme
ratée. Ces propos ont été développés par Hutchins (1995) et partagés par Reason (1993) et
Amalberti (1996) qui considèrent que l’homme apprend de ses erreurs. Il ne faut donc surtout
pas lui supprimer la possibilité de tester, de vagabonder, les erreurs ayant un rôle positif dans
le maintien d’un haut niveau de fiabilité. Il est nécessaire que les raideurs soient entraînés à
bricoler des solutions d’improvisation, c’est ce que démontre aussi l’étude de Weick (1993).
55
Les conclusions obtenues dans cette étude permettent aussi d’envisager certains aspects
applicables visant à faire évoluer l’organisation du raid vers encore plus de fiabilité, tout en
visant le développement des opérateurs. La flexibilité, l’entraînement et la redondance sont les
conditions qui permettent la fiabilité (Roberts, 1990). Dans le cas du raid, les résultats montrent
que les systèmes de survie sont tous au minimum doublés, voire triplés. Les situations réelles
sont vécues trois fois par an. Le manque de prescription préserve la flexibilité de l’organisation.
Cependant, la mise en place d’entraînements à la flexibilité serait peut-être à envisager, à
la fois pour les raideurs, mais aussi en utilisant le raid comme terrain d’entraînement à la
flexibilité en conditions extrêmes (flexibilité dans les prises de décision par exemple ou dans
le maintien d’un savoir-faire face aux black out par exemple ou aux incidents en cascade).
Le raid polaire peut être considéré comme «un laboratoire en situation réelle», permettant
de préparer éventuellement les astronautes aux vols habités de longue durée et, pourquoi pas,
tous types d’organisations à risques désireuses de travailler la gestion de risque, la prise de
décision en situation d’urgence. Ce terrain exceptionnel n’a pas atteint toutes ses potentialités.
56
La posture de l’ergonome dans un travail en conditions extrêmes mérite d’être soulevée.
Mener des recherches dans un contexte aussi spécifique et complexe pose la question aussi
des méthodologies utilisées. Il s’agit d’un travail non stop 24 h/24 h pendant vingt-trois
jours pour prendre l’exemple du raid. L’ergonome participe donc à la vie de groupe et doit
développer lui aussi un certain nombre de savoir-faire spécifiques et une posture de travail
particulière. Car pour être embarqué à bord d’un convoi, ou dans n’importe quelle organisation
à risque, dynamique, l’ergonome doit accepter de travailler avec le groupe, d’assumer des
tâches nécessaires à la survie du groupe, sans être une charge pour le groupe. L’enjeu est
d’obtenir son intégration au sein du groupe afin que les portes du terrain s’ouvrent. Il faut donc
être autonome dans le travail du raid, jongler entre la casquette d’ergonome mais aussi celle
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Perspectives interdisciplinaires sur le travail et la santé, 17-1 | 2015
de raideur. Dans ce cadre, les outils de recueil de données doivent être suffisamment flexibles
pour s’adapter aux contraintes de ce type de recherche. Voici la naissance d’une nouvelle
forme d’ergonomie, en totale immersion (H 24 et pendant plusieurs jours), indispensable pour
accéder à certains environnements à risque, dont les enjeux de postures et méthodologiques
doivent être discutés, voire négociés.
57
Ces premiers résultats demandent à être confirmés par d’autres études provenant d’autres raids
afin de diversifier les situations. Les incidents sont fréquents sur le raid, les prises de décision
du chef de convoi en situation d’urgence sont centrales pour la sécurité des raideurs, la gestion
des imprévus pensés et impensés ainsi que la planification et sa re-planification au cours du
raid sont perpétuelles… Autant de sujets qui restent à explorer pour comprendre comment se
construit la sécurité dans des conditions extrêmes de travail.
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Notes
1 Pour plus de détails, voir Godon (2004).
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Pour citer cet article
Référence électronique
Aude Villemain et Patrice Godon, «Construction de la fiabilité organisationnelle en environnement
extrême à partir de la sécurité réglée et gérée: étude de cas du raid Concordia», Perspectives
interdisciplinaires sur le travail et la santé [En ligne], 17-1|2015, mis en ligne le 01 mai 2015,
consulté le 23 août 2015. URL: http://pistes.revues.org/4455
À propos des auteurs
Aude Villemain
Université de Reims Champagne-Ardenne, CRTD, Laboratoire d’ergonomie, CNAM, Paris,
Aude.villemain@univ-reims.fr
Patrice Godon
Institut polaire français Paul Emile Victor (IPEV), Technopole Brest Iroise
Droits d’auteur
© Tous droits réservés
Résumés
Cette étude exploratoire propose de comprendre comment se construit la sécurité (réglée et
gérée) lors de raids de transport sur le continent Antarctique, composante incontournable de
la fiabilité organisationnelle. À partir d’observations participantes, de traces de l’activité et
d’entretiens avec le concepteur du raid, il a été proposé un classement des situations à risque
sur ces raids. Les premiers résultats montrent que la sécurité est (a) réglée par la conception
du raid grâce à une redondance des systèmes de survie, (b) réglée par une organisation des
tâches autour de l’enchaînement et de la synchronisation des actions, enfin (c) gérée par le
développement de nouveaux savoir-faire de métier et de prudence. La discussion porte autour
de la mise en place de marges de manœuvre définies par l’organisation et la conception
matérielle, offrant une autonomie aux opérateurs, nécessaire pour développer une sécurité
globale.
Building Organizational Reliability in Extreme Environments Based on
Regulated and Managed Safety: the Concordia Traverse Case Study
This explorative study attempts to understand how regulated and managed safety was
constructed during traverses on the Antarctic continent in order to ensure organizational
reliability. Risk situations were ranked based on participants’ observations, marks left by the
activity, and interviews with the project manager. The first results showed that safety was
ensured by: (a) a traverse design involving duplicated survival systems, (b) an organisation
requiring the succession and synchronisation of tasks, and (c) the development of new
know-how regarding safety and the various professions involved. The discussion of the
results focuses on the room for manoeuvre induced by the organisation of the traverse and
the equipment design, all of which enabled the operators to be self-sufficient, which is a
fundamental necessity in developing overall safety.
Construcción de la fiabilidad de la organización en condiciones
extremas a partir de la seguridad regulada y gestionada: estudio de
caso de travesías Concordia
Este estudio exploratorio busca entender cómo construir la seguridad (regulada y gestionada)
durante las incursiones de transporte en el continente antártico, componente clave de la
fiabilidad organizacional. A partir de observaciones participantes, de trazas de la actividad
y entrevistas con el organizador de las incursiones, se propuso una clasificación de las
Construction de la fiabilité organisationnelle en environnement extrême à partir de la sé (...)
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situaciones a riesgo en estas incursiones. Los resultados iniciales muestran que la seguridad es
(a) regulada por el diseño de la incursión a través de la redundancia del sistema de soporte vital,
(b) regulado por una organización de las tareas entorno al encadenamiento y sincronización
de acciones y finalmente (c) gestionado por el desarrollo de los nuevos “saber hacer” de la
profesión y de prudencia. La discusión se centró en torno a la introducción de un margen
de maniobra definido por la organización y la concepción material, proporcionando una
autonomía a los operadores necesarios para desarrollar una seguridad integral.
Entrées d’index
Mots-clés : environnement polaire, sécurité, fiabilité organisationnelle, autonomie,
compétences
Keywords :polar environment, safety, organisational reliability, self-sufficiency, skills
Palabras claves : medio ambiente polar, seguridad, fiabilidad de la organización,
autonomía, competencias